La règle des menstruations

Les règles font partie intégrante de la vie des femmes. Elles restent pourtant un tabou au sein de la société française, ralentissant la mise en lumière d’un problème pour des milliers de femmes : la précarité menstruelle.

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S’il y a bien quelque chose de commun à toutes les femmes, ce sont les menstruations. Rien de plus naturel et de plus commun que le cycle menstruel. Pourtant, parler des règles reste dérangeant. Pour beaucoup, c’est un tabou. Un tabou qui empêche la société civile de faire-valoir leur discours auprès des pouvoirs publics, en France et dans le monde. Car aujourd’hui encore, dans certains pays et certaines culturelles, les femmes sont mises au ban de la société quand elles ont leurs règles. Un phénomène que l’on observe dans une moindre mesure en France mais tout de même, il est encore possible d’améliorer la vie des femmes pendant leurs règles. Notamment d’un point de vue économique : aujourd’hui en France, des femmes ne peuvent pas se permettre les dépenses liées à leurs règles, c’est la précarité menstruelle. Mais il y a aussi un mouvement pour réclamer des protections périodiques moins nocives et plus écologiques. Les règles, il y a beaucoup à en dire.

Cachez ce sang que la société ne saurait voir

Il y a quelques mois, la publicité pour les protections périodiques Nana a fait beaucoup réagir : c’est la première publicité en France à montrer du liquide de couleur rouge et non le traditionnel liquide bleu censé représenter les règles à la télévision. Non pas que les publicitaires s’inquiètent pour les gens qui tournent de l’œil à la vue du sang, mais les règles ont toujours été un sujet tabou, quelque chose qu’il faut cacher. « Chaque jour dans le monde, des filles et des femmes ne vont pas à l’école ou au travail parce qu’elles ont leurs règles », rappelle Marine Creuzet, membre de l’association Règles Élémentaires.

Marine Creuzet de Règles Élémentaires

Pour beaucoup, les menstruations restent quelque chose de sale. « Avec les règles, on est au carrefour de plusieurs tabous : la femme, le corps de la femme et un liquide qui sort du corps de la femme. » Alors dans les publicités de protections « hygiéniques » on montre un liquide bleu. Si une femme a une tache sur son pantalon, elle sera moquée. En cas d’oubli de protection, dans les établissements scolaires il faut se rendre à l’infirmerie, comme si cela relevait du médical et du confidentiel.

Une action naturelle du corps de la femme qui amène différents sujets dans la sphère sociétale dont la précarité menstruelle ou encore l’utilisation de produits chimiques dans les protections périodiques. Mais lorsqu’un sujet est tabou, qu’il ne semble pas mobiliser suffisamment, il est d’autant plus difficile de le convertir en problème public pourque les pouvoirs publics commencent à prendre des mesures.

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Le coût des règles

L’association Règles Elémentaires a été créée en novembre 2015 par Tara Heuzé-Sarmini : « Elle s’est lancé alors qu’elle venait de terminer ses études au Royaume-Uni où il y a, comme dans d’autres pays anglo-saxons, beaucoup d’associations autour des règles. Et ça n’existait pas encore en France », explique Marine Creuzet. Un retard français sur la prise en considération de l’existence de cette précarité menstruelle, entre autres.

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Les protections périodiques ont un certain coup financier pour les femmes. Jusque 2016, elles étaient taxées à 20%, comme les produits cosmétiques ou de luxe. Une taxe qui a longtemps été un combat pour les associations féministes, se demandant pourquoi les produits périodiques étaient taxés comme des produits non-essentiels tels un rouge à lèvres ou un parfum. « Et les règles, ça coûte cher dans la vie d’une femme, rappelle Marine Creuzet. Beaucoup sont obligées de bricoler pour se protéger car elles n’ont pas les moyens d’acheter des protections périodiques. »

Au début, l’action de l’association se centrait sur les femmes SDF ou en foyer. « Puis après on a rapidement été contacté par des collégiennes, lycéennes et étudiantes qui éprouvent aussi cette précarité menstruelle. » Les étudiantes, car elles n’ont pas toujours le budget pour acheter leurs protections. Les collégiennes et lycéennes « parce que le foyer n’a pas toujours le budget mais aussi parce qu’elles n’osent pas affronter le tabou des règles face à leurs parents et dire qu’elles ont besoin de protection périodique ».

Un tabou qui rend plus difficile le travail de l’association auprès des pouvoirs publics pour alerter sur cette précarité menstruelle. « A partir du moment où un combat est moins légitime qu’un autre, il nous a fallu plus de temps pour être pris au sérieux et c’est du temps de perdu pour avancer. »

Aujourd’hui, Règles Élémentaires a percé les ors du pouvoir. « Nous sommes interrogés chaque année par l’Assemblée Nationale et le Sénat dans le cadre du projet de loi finances où on peut faire plusieurs propositions. » Parmi elles, la mise à disposition gratuites de protections périodiques notamment dans les collèges, lycées et universités (comme c’est le cas pour les préservatifs). « Il suffit d’un président de région, d’un président de département qui prenne l’initiative. » (La compétence des lycées revient au conseil régional, celle des collèges au conseil départemental, ndlr.)

A chaque femme sa protection périodique adaptée

Ces dernière années, des alternatives aux tampons et serviettes périodiques, notamment la coupe menstruelle et les protections lavables réapparaissent. Les différentes marques misent sur deux arguments qui font mouche : des solutions qui coûtent moins cher sur le long terme, qui sont plus écologiques et moins nocives pour la santé des femmes. A l’achat, cup et autre culotte menstruelle ont toutefois un prix d’entrée assez élevé : en moyenne 25€ pour une cup, 30€ pour une culotte menstruelle. Même si les économies sur le long terme sont reconnues, si certaines ne peuvent se permettre d’acheter un paquet de serviettes périodiques ou de tampons, le prix des protections, certes réutilisables, peut être un frein à l’achat. Ces nouvelles méthodes seront-elles vraiment une solution à la précarité menstruelle ? Il n’y a pas encore assez de recul sur la question.

L’argumentaire écologique derrière ces protections fonctionne pour les femmes de catégories socio-professionnelles (CSP) supérieures. Celles qui peuvent se permettre de payer plus cher et de penser à l’impact de leurs protections périodiques sur la planète. Car elles n’ont pas à se soucier prioritairement à chercher à se protéger, contrairement aux femmes précaires qui n’ont pas toujours les moyens d’acheter des protections. L’argument écologique passe au second plan, selon la hiérarchie des besoins comme on peut le voir dans la pyramide de Maslow : se protéger est un besoin primaire, mais pas la cause écologique.

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Aucune femme n’est obligée de passer aux protections périodiques réutilisables si elles ne lui conviennent pas. « C’est comme pour la contraception, compare Marine Creuzet. Il y a plusieurs méthodes et il faut faire le choix qui nous convient. » Un choix adapté à son confort mais aussi à son mode de vie : « On ne pourrait pas conseiller la coupe menstruelle à une femme SDF alors qu’elle n’a pas toujours accès à un point d’eau (nécessaire pour rincer la coupe menstruelle entre deux utilisations, ndlr.)»

Toutefois, les produits périodiques sains, non néfastes pour le corps des femmes sont à privilégier. Certaines marques de tampons utilisent des agents blanchissants encore aujourd’hui, quatre ans après le cri d’alerte de plusieurs femmes relayés sur les réseaux sociaux concernant les produits dangereux pour la santé, comme les pesticides, présents dans les tampons et serviettes jetables. Un autre problème auquel les autorités ne se sont finalement pas attelées. « Ce que l’on souhaiterait, ce serait instaurer un système de bonus/malus selon les produits utilisés dans les produits périodiques, si certains sont mauvais pour le corps des femmes », confie Marine Creuzet.

Les règles c’est tabou, on en viendra tous à bout. En venir à bout de la précarité menstruelle, des produits nocifs dans les protections, c’est le projet de plusieurs associations. Mais le chemin politique et législatif est long et semé d’embuches. La première cause, c’est le tabou autour des règles. Un sujet qui, au mieux, amuse ou qui doit être passé sous silence. Tant que cette première cause ne sera pas dépassée, il sera difficile de s’engager dans une véritable réforme.

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